Les émotions sont universelles chez tous les êtres humains quelle que soit leur culture. Nous les partageons également avec nombre d’espèces animales : ce sont des processus d’adaptation à notre environnement. Et qui dit processus d’adaptation dit survie de l’espèce ; les émotions désagréables, et non pas négatives comme notre monde moderne à tendance à le dire, plus nombreuses que les émotions agréables (la joie, le contentement) sont, semble-t-il, des mécanismes mis en place pour avertir de toute situation qui viendrait déranger le cours de notre vie, nous prévenant de modifications internes ou externes, de risques, réels ou potentiels, de désagréments, de manques, gênes et de dangers.
La peur qui nous fait fuir, la peur qui nous fait attaquer ou agresser, la peur qui nous fige, est à la base des réactions physiologiques de survie, inscrites en nous depuis le fond des âges, lorsque l’environnement était dangereux. Cet environnement le reste dans certaines contrées, mais sous nos cieux, lorsque la peur se révèle de manière répétitive dans des situations anodines en soi, elle apparait non seulement comme une confusion entre risque et danger, mais également comme sentiments élastique, sentiment qui se réactive dans notre présent alors que ce qui le provoque est un déclencheur, dont la cause réelle n’est plus actuelle. Nous nous servons en quelque sorte d’un événement présent ou d’une autre personne qui n’a rien à voir avec notre histoire, pour exprimer quelque chose de notre passé, dont nous n’avons plus conscience ni souvenir mais qui nous sert à nous libérer de la charge affective ancienne, toujours agissante.
Les émotions peuvent donc être comprises comme des signaux physiologiques, des tentatives d’adaptation, devant toute perturbation qui viendrait entraver notre bien-être établi ; elles nous invitent à réagir à ce qui interrompt le continuum de notre vie en nous nous informant de l’agréable et du désagréable. Mais elles sont également un moyen de communication privilégié instauré avant même le langage : elles révèlent notre état intérieur, ce que nous voulons en dire mais aussi ce que nous voudrions en cacher ; elles exposent nos états d’âme, nos intentions, nos limites. Le postural et le mimique nous informent et informent l’autre : une grimace de dégout s’accompagne souvent d’un recul ou d’un détournement de la tête de ce qui le provoque et que nous cherchons à rejeter, et est saisi instantanément par quiconque en est témoin. La réaction informe l’autre de ce qui se vit et se ressent. Si un met nous dégoute, l’autre peut en inférer qu’il n’est pas bon et s’en méfier.
Le nez qui se retrousse, la bouche qui se pince expriment la colère, les poings qui se serrent se signalent comme limites à ne pas franchir chez qui les manifeste.
Les yeux qui s’ouvrent grand sont compris immédiatement comme de la surprise, de l’incompréhension…
Ces exemples montrent à quel point nos émotions nous permettent de nous comprendre et de transmettre des messages. L’exemple du nourrisson est très explicite : il ne sait pas parler mais il sait se faire comprendre : sa mère devine et saisis ses ressentis et ce qu’il traverse : “oh tu as faim mon chéri, tu es en colère d’avoir attendu ? “ou ” ça fait du bien, tu es tout content d’avoir bu ton lait, que tu gazouilles…” : tout son corps et ses mimiques expriment ses ressentis et sont destinés à l’Autre que soi, avant même d’en avoir conscience.
La dynamique émotionnelle postule qu’aucune émotion n’est ni superflue ni négative: elles ont toutes une raison d’être et mon travail en thérapie c’est d’amener le patient à s’accepter en les acceptant, à se les réapproprier, ne pas les rejeter car en les rejetant, ce qu’il ne voit pas c’est qu’il se rejette lui-même, se coupe, ou tout du moins tente de le faire, d’une partie de sa richesse intérieure, certes pour essayer de moins souffrir, mais en quittant une part de la richesse de sa vie psychique, incomplète sans toute l’expression de sa gamme émotionnelle.
La puissance de cette méthode -et de ma pratique thérapeutique-, c’est l’intuition géniale qu’eût le docteur Jalenques, dans les années 70, lorsqu’il saisit que les émotions, étant intemporelles et ne mentant pas (ce que l’on sent on le sent ! ) étaient un passage privilégié de soi à soi, une méthode d’exploration unique de l”histoire du patient, sans la distorsion créée par la réflexion et par la tentative de compréhension intellectuelle des méthodes thérapeutiques de l’époque : c’est un truisme, mais lorsqu’on a peur on a peur, et s’il s’agit de peurs qui ressurgissent sans raison apparente, sans véritable cause présente, il est possible de préjuger qu’elles sont une résurgence de l’histoire passée, particulièrement l’histoire infantile, qui se rejoue pour le sujet lorsqu’un déclencheur l’active.
L’exploration des positions du patient qui entravent sa vie et ses relations, comme malgré lui, qui le font souffrir, qui l’empêchent d’avancer, se fait grâce à un travail spécifique de forage en profondeur de ses émotions qui passe par la répétition de mantras, méthode particulière créée par le Dr Jalenques, à partir de phrases clés tirés directement de ce que le sujet produit en séance et que le thérapeute décode et restitue ; l’expression émotionnelle de ses ressentis au moment précis où il les touche va permettre non seulement aux représentations, souvenirs anciens, oubliés, refoulés, de revenir à la conscience, mais aussi aux émotions et sentiments : peur, douleur, tristesse, culpabilité, honte, dégout, etc., qui y étaient liés, de se réactualiser et, en les travaillant, de les élaborer, en quelque sorte de ” les métaboliser”, pour amener à l’abréaction et à la libération.
Les souvenirs en eux-mêmes sont souvent trompeurs, tronqués, modifiés par notre psychisme qui, en recherche constante de sens, a besoin de construire et de reconstruire, de combler les absences de l’histoire personnelle, quitte à en rajouter des pièces ; en revanche, la voie émotionnelle est une voie royale en ce que les émotions, intemporelles, sont restituées telles quelles, et donnent accès aux représentations qui posaient problème.
La réalité du vécu de la patiente qui raconte qu’elle ne se souvient pas d’avoir été abusée, mais qui se met à pleurer dès qu’elle en parle, ou qui exprime de la peur sans même en connaitre l’objet, ne demande pas plus d’explications pour que le travail se fasse et ne demande pas de passer par la compréhension intellectuelle : ses ressentis sont réels : mon travail consiste à m’appuyer sur eux pour lui permettre de les exprimer dans toute leur gamme affective et leur tonalité : un déroulement émotionnel, un forage en profondeur, qui mène à sa réalité psychique…et qui la répare en ce que la patiente peut s’autoriser à exprimer ce qu’elle n’avait pu exprimer petite et qui n’avait pas trouvé d’issue émotionnelle ou psychique. Elle fait une sorte de retour dans le passé pour introduire des données qu’elle n’avaient pas à sa disposition alors et qui vont lui permettre de se libérer émotionnellement. C’est à dire de ne plus en souffrir. Ce que le Dr Jalenque appelle” injecter du présent dans le passé”.