Le cas clinique qui suit présente un jeune homme au prise avec une compulsion à répéter l’échec, voire à le construire, dans sa vie amoureuse, et liée à une identification à une mère « absente » proche du concept de ‘complexe de mère morte » élaboré par André Green.
Ce cas nous permet de mettre en exergue la complémentarité des concepts en psychanalyse vs la Dynamique Emotionnelle, tout en présentant de façon succincte quelques-uns de ses outils.
Chris est un jeune homme d’une trentaine d’année. Il est très beau garçon, il a ce que l’on pourrait dire « tout pour lui ». Un métier, un bon salaire, une belle réussite professionnelle. Cependant ce qui l’amène en thérapie c’est qu’il se sent incapable de construire une relation amoureuse stable. Il fréquente de très belles filles, à la mesure de sa situation ; la relation se passe bien, tout va pour le mieux, dit-il… Bien sûr il ne se sent pas toujours à l’aise. Il n’arrive pas toujours à leur dire non, parfois même il a le sentiment de se perdre, de ne pas savoir assurer ses positions, de ne pas vraiment choisir ce qu’il veut vraiment avec elles.
Avec ses petites amies, en général cela se passe bien. Il se sent très amoureux. Mais dès que la relation devient plus sérieuse, dès qu’ils commencent à faire des projets d’avenir, vivre ensemble, fonder une famille, du jour au lendemain, sans aucune explication, Chris rompt toute relation, à l’effarement non seulement de son amie, mais de la sienne même, car il n’arrive pas à comprendre ce qu’il lui arrive et le pousse à agir ainsi. Sa dernière fiancée, il l’a quittée une semaine avant le mariage. Il ne sait pas pourquoi car « je l’aime », nous dit-il.
Chris nous raconte sa mère ne s’est jamais préoccupée de lui. Il a tout tenté pour l’intéresser, elle ne semblait pas le voir. Il a fini par abandonner l’espoir… mais semble s’être abandonné avec lui.
Sa mère a longtemps été dépressive. D’ailleurs se souvient-il d’un autre état tel celui-ci chez elle ? Aussi loin qu’il s’en souvienne, elle a toujours paru triste.
Quant à son père, il n’a jamais vraiment été là, effacé devant cette mère déprimée, passant sa vie au dehors, certainement pour s’évader de l’ambiance familiale sinistre, ajoute Chris.
Il se sent perdu, (nous pouvons percevoir son retrait qui s’exprime par le repli corps, dans la tristesse et d’abattement) ; il nous sourit mais il n’est pas là…Ce qu’il nous transmet, c’est cette position de retrait affectif, coupé de lui et de ce qui se passe autour de lui, ne nous offrant qu’un vide relationnel. Son regard n’accroche pas lorsqu’il fait des tours de groupe…Il sait qu’il a peur mais ne la ressent pas non plus… L’inertie est visible chez lui.
Il indique que les seules fois où sa mère se rapproche de lui aujourd’hui -et depuis longtemps- c’est quand elle a des soucis personnels : alors elle le contacte, cherche à se confier à lui. Tout en l’écoutant, il se sent alors pris dans une toile dont il ne se débat même pas : il devient son confident, il ne peut pas le lui refuser ; refuserait-on de boire un verre d’eau en plein désert ? Sa mère l’a toujours laissé seul ; depuis son enfance, il a pris l’habitude de s’enfermer dans sa chambre, avec son ordinateur ou ses livres.
Il plait aux filles mais a peu de relations : a-t-il une amie, qu’aussitôt sa mère se fait aussi présente que pressante, essorant son fils afin qu’il lui revienne, tentant de reprendre le contrôle sur lui et de redevenir son centre d’intérêt unique, son seul objet d’amour, allant jusqu’à l’appeler 20 fois par jours pour des vétilles. Chris a bien compris le jeu maternel mais il n’a aucune force pour y réagir. Il ne sais s’opposer à ses demandes, il a peur de la blesser, de lui faire mal. (Nous comprenons ‘de perdre son amour’). A peine ose-t-il dire en groupe qu’il n’a pas envie qu’elle s’immisce dans ses histoires… dans sa grande crainte d’attaquer l’image maternelle.
L’identification
Selon Green dans ce processus d’identification à une mère absente, pour protéger la psyché il y a désinvestissement de l’objet : sans haine, précise André Green, car la haine ne ferait que l’endommager davantage. Et on y tient ! C’est un désinvestissement affectif tout autant que représentatif qui laisse comme un trou, un vide dans le rapport à la mère. L’enfant continue à vivre « comme si », identifié non à la mère dépressive, mais au vide absolu qu’elle laisse dans la psyché, seule relation qui le lie à elle.
C’est pourquoi le travail se fera au rythme des capacités d’acceptation du patient.
L’image de cette mère absente lui tient lieu de cadre. Il faudra de la patience de la part du thérapeute pour que son patient commence à toucher à l’image de la mère toute puissante sans craindre d’en être ébranlé.
L’identification introjective lui a permis de renoncer à l’objet en devenant cet objet marqué par la disparition. De ne pas l’avoir à l’extérieur, il va la garder à l’intérieur : le sujet devient prisonnier de la mère morte : « l’amour, noyau froid, gelé, agit de l’intérieur » dit Green.
Toute sa vie durant, Chris pensera avoir « congédié sa mère morte » Mais celle-ci ne le reste qu’à condition « qu’il n’y ait pas de candidat à sa succession … ». Le complexe se réveille dès qu’il a tentative de réinvestissement libidinal sur un autre : la relation intrapsychique à la mère, perdue, est entretenue psychiquement ; nul objet ne peut se substituer, les relations autres qui viendraient en remplacement sont destinées à échouer.
L’espoir inconscient qui perdure depuis l’enfance chez l’homme qu’il est devenu, c’est d’être enfin aimé par de cette mère désincarnée. Mais tant qu’il ne lâchera pas cet espoir, Chris demeurera attaché à elle par des fils invisibles et néfastes qui lui donneront l’illusion d’une présence, d’un lien partagé dans le vide de la relation.
Nous l’encouragerons à exprimer toutes les positions internes qu’il commence à percevoir et à récuser celles, comme aujourd’hui, qui le font plier devant le désir maternel clairement évoqué. Nous commencerons par ce qui ce qui se passe pour lui, -tenant compte des étapes du travail de la dynamique émotionnelles-, dans sa vie amoureuse, ce qui lui permettra de se prémunir momentanément de l’angoisse soulevée par son travail. Toutefois ce travail réactualise la position psychique archaïque, qui se répète et persiste dans une de circularité qu’il ne peut lâcher.
Car ce qui se joue pour lui dans les ruptures avec ses petites amies n’est que tentative du moi de se sentir libre, de se libérer d’une mère abusive. Dans l’attente inconsciente du réveil d’une mère vidée de sa substance, il cherche à travers les conquêtes actuelles à recréer une relation qui lui donnerait l’illusion de la retrouver. Et il y retrouve l’amour tout en retrouvant, en recréant, le vide où l’absence le plongea dans son enfance.
Aujourd’hui, se sachant dépendant de l’amour des femmes qu’il aime, il comprend que si la relation aboutit, il sera perdu à lui-même pour toujours ; sa seule réponse viable devant la peur de la néantisation c’est de partir, les quitter, rester seul pour préserver l’endroit où il se sent encore sujet.
La majorité des patients qui arrive en thérapie, ne s’aime pas, ne s’estime pas, ne se pardonne rien. Ils s’en veulent pour mille raisons possibles dont ils ne sont en général pas même responsables.
Notons avant de terminer que les représentations négatives agissent en silence à l’insu du patient, sans bénéfice secondaire autre que celui de conserver une imago maternelle aussi morte soit elle. Cette mère absente intériorisée prit place comme objet de la relation qui aurait dû s’instaurer et permettre le développement du petit humain ; et qui ne génère plus que « pulsions de mort »… La vie du sujet sera emplie d’une succession d’échecs pénibles, sans cause apparente, jamais perceptible. La compulsion de répétition, en tentative de reconstruction de l’histoire, mais sans fin, puisque sans contact avec les représentations qui ont amené à la désobjectalisation et à l’identification à la mère morte, une mère qui par sa dépressivité ne donnera plus à l’enfant la relation nécessaire à son épanouissement.
Cette répétition est un signal et un outil dans le travail d’accompagnement : la DEE va utiliser la matière amenée par le patient, symptômes, répétitions, blocages, en postulant que cette matière « parle » de ce que dit (ou ne dit pas) le patient au moment où il en est, et qu’il vit comme la réalité.
« Le rôle du thérapeute […] (consistant) à débloquer et à réactiver la pompe affective ».
Comment ?
La DEE va injecter du présent dans le passé, permettre au patient de remettre en marche le convertisseur psychique, redonner sa mobilité au Moi, le libérant de l’adhésivité, amenant à la réversibilité thymique.
Un travail tout en patience l’amènera également à ‘désespérer’ au sens littéral du terme, c’est-à-dire à abandonner l’espoir de recevoir un jour l’amour qu’il n’a pas reçu. Accepter le manque, profiter du manque, répète régulièrement E. Jalenques.
Mais ce, seulement après avoir reconstruit par ce même travail, son propre et nouvel bon objet interne, grâce à la relation spécifique au thérapeute, devenu Moi auxiliaire, le temps pour lui de recouvrer la mobilité et la souplesse d’adaptation au monde à travers son Moi ‘réanimé’, se sentir sujet vivant et libre des identifications adhésives qui ont grevé sa vie d’adulte.
Nous savons, particulièrement en DEE, combien l’espoir est une position invalidante, retenant celui qui s’y perd dans un passé défunt. Ce qui n’a pas eu lieu n’aura jamais lieu et ce qui n’est plus, ne reviendra pas… Cette connaissance, perçue comme désespérante par les patients qui commencent leur travail dans l’attente d’une compensation au manque et à la perte, est la seule voie puisse l’amener à se libérer des attentes qui le figent.
‘Désespérer’ le patient finira par lui donnera accès là où il n’y eut rien que du vide maternel, là où, enfant, il choisît pour sa sauvegarde de se lier à ce manque qui fut alors introjecté. La réinjection du présent dans le passé modifie les réponses qui ont été faites aux situations : ces réponses sont réactualisées, libèrent les positions figées, les énergies bloquées, ouvrent la voie au flux interne de la vie psychique, mettant fin aux répétitions mortifères.
Le patient en viendra à prendre conscience, que ce soit par un insight ou par aboutissement de l’émotion permettant la libération des affects coincés, qu’il a décidé lui-même des choix qui s’offraient à lui, fut-ce par défaut. Cette prise de conscience lui permettra de modifier la donne, de changer de voie, de se désolidariser de la mère morte et de la répétition d’échec, mise en place dans une tentative saine de réparation du passé mais ne pouvant cependant pas aboutir sans aide extérieure.