La psychanalyse est le nom, entre autre, « d’une série de conceptions psychologiques acquise par ce moyen et qui s’accroissent ensemble pour former progressivement une nouvelle discipline scientifique. » (Freud)
Si dans la cure psychanalytique classique se révèle la réalité psychique inconsciente du sujet, il a fallu, pour que cette connaissance soit possible, cibler un espace de la réalité psychique du sujet et en écarter d’autres : l’inconscient du sujet dans son environnement (familial, social, groupal…).
À partir des années 1930, des psychothérapies psychanalytiques de groupe valident l’idée d’une «psyché de groupe », déjà évoquée par Freud, et sont mises en place afin de remédier aux insuffisances de la cure individuelle… Ce qui entraîne modifications, ajustements, enrichissements de la théorie psychanalytique. Les recherches sont axées sur les souffrances et les pathologies de configuration de liens : famille, du couple, des relations parents bébés, etc …
René Kaës appelle ‘métapsychologie de troisième type’ une nouvelle conception qui permet d’accéder au travail spécifique des processus de liens dans le groupe.
Il enrichit le corpus théorique en créant le concept d’appareil psychique groupal et élabore sa métapsychologique de trois espaces psychiques inconscients, qu’il conçoit comme étendues de matière psychique, coordonnées entre elles, contenant processus et formations de l’inconscient. Les bases épistémologiques de la psychanalyse et des aménagements qui permettent d’accéder à la connaissance de l’inconscient « confronté dans la cure à celui de l’autre, et dans le groupe, à celui de plus d’un autre », seront repensés.
Qu’est-ce qu’un groupe dans cette optique ?
Le groupe est considéré comme une entité dotée de formations et de processus psychiques spécifiques.
En 1964 Foulkes proposait l’idée de matrice groupale, Anzieu en 1986, propose le concept d’enveloppe psychique, les travaux de Bion quant à eux, mettent en évidence une mentalité et une culture de groupe.
Le groupe n’est pas qu’un « contenant d’inconscients individuels, ou simple collection d’individus », (kaës). Il est « la construction et le résultat, transmissible, d’un travail psychique : un appareil de transformation de la matière psychique mobilisée par les organisateurs psychiques inconscients ». « Il lie, accorde, appareille et transforme les contributions psychiques de ses sujets. Il produit la réalité psychique, les formations et les processus propres au groupe. Il travaille par projection, dépôt, identification… ».
Le groupe convertit le fonctionnement psychique individuel dans son rapport à l’autre ou à ‘plus d’un autre’, dans son espace interne comme dans l’espace du lien et dans celui du groupe. De plus, la position et la pratique de l’analyste dans la cure en expérience de groupe, traitera non plus du seul espace du sujet de l’inconscient mais des formations et des processus inconscients intrapsychiques organisés dans plusieurs espaces, sur la base de liens et d’alliances partagés.
Le concept d’appareil psychique groupal comprend les processus en jeu entre membres du groupe, sa réalité psychique, les liens intersubjectifs qui s’y déploient, les transformations, les logiques spécifiques qui animent ces espaces.
Quels sont-ils ?
Dans la cure traditionnelle, la métapsychologie s’attelle à étudier le fonctionnement et la réalité intrapsychique inconsciente du sujet. Mais, nous dit l’auteur, « cet espace n’est pas strictement individuel. ». Cet espace du sujet singulier est partagé avec l’espace de ses liens intersubjectifs (social, familial, professionnel…) et par celui, intersubjectif et intra subjectif qui se révèle en groupe. Ces trois espaces coexistent, limités par des enveloppes et connectés à d’autres espaces de réalité psychique, « opposable à la réalité matérielle. ». Dans le groupe ils sont activés et interfèrent les uns les autres grâce à l’appareil psychique groupal. Ils sont agis par des contenus, des organisations, des fonctionnements spécifiques.
Le groupe est la construction et le résultat d’un travail psychique, transmissible, nous dit-il. Un appareil de transformations de la matière psychique. Il y a groupe lorsque se produit une construction psychique commune entre les membres du groupe qui le constituent.’
En accord avec le concept freudien d’inconscient originaire -comme groupe psychique séparé de l’inconscient, composé d’un ensemble d’éléments – représentations, affects, pulsions – qui forment un noyau attirant les éléments refoulés à lui, les liant-, fondé sur l’analyse du sujet singulier, pour Kaes, en chaque sujet existent des configurations de groupes internes, qu’il décrit comme « manifestation d’une propriété générale de la matière psychique (qui associe, dissocie, agrège, désagrège) » : « chaque sujet contient dans son espace interne des formation groupales ». Ces groupes psychiques internes seraient des modèles de l’organisation et du fonctionnement intrapsychique, processus de la psyché individuelle qui donne sa consistance et sa forme à la matière psychique inconsciente, elle-même ordonnée de façon associative.
Un des principaux postulats de la psychanalyse est que le psychisme est constitué d’instances psychiques séparées et est régi par le principe de plaisir et de déplaisir, sous le primat du principe de réalité.
Ce postulat se vérifie dans les groupes et est enrichi par de nouvelles conceptions. Les alliances inconscientes, « formations métapsychiques » du sujet, se construisent dans des processus intégrant une logique de « pas l’un sans l’autre ou plus d’un autre et sans l’ensemble qui les contient et qui les maintient », logique qui tient compte des interactions et interférences entre les différents espaces et leur topique. Ces alliances sont fondatrices de la formation de l’inconscient (de par leurs représentations (co)- refoulées ou (co)-déniées qui permettent aux liens de se mettre en place), et l’inconscient singulier (de par les intérêts inconscients ou déniés) se forme sur ces alliances intersubjectives et groupales.
Elles sont aussi contractées et transmises par la chaîne des générations (alliances transgénérationnelles et familiales qui créent et font vivre l’histoire inconsciente du sujet).
Elles ont des fonctions structurantes, défensives ou offensives dans le groupe.
La situation de groupe anime les objets inconscients du sujet et celui des autres dans une fantasmatique partagée, autant avec ‘les objets communs et partagés’ déjà présents qu’avec ceux qui se construisent dans la temporalité du groupe.
Le lien dans le groupe est caractérisé par ‘un espace de réalité psychique spécifique construit à partir de la matière psychique engagée dans les relations entre deux ou plus de deux sujets’. Le lien met en résonance les objets internes du sujet avec ceux des autres. Il permet l’accomplissement de réalisations inconscientes qui ne pourraient pas s’obtenir seules ou le partage de fantasmes, d’idéaux….
La fonction phorique définit un des processus du lien : représentation par un des sujets, ‘celui qui porte’ pour lui et pour un autre, ou pour plusieurs autres, d’un signe, d’un idéal, d’un symptôme, d’une pensée : logique du bouc émissaire par exemple.
L’associativité du sujet est lié à ses propres spécificités mais également à celles d’autres ; elle se construit avec le matériel des sujets dans le groupe, lui donne accès à des représentations nouvelles ou l’amène à les refouler de son espace psychique singulier. Elle construit « l’énoncé », le thème commun qui s’élabore dans le groupe créant des « chaines associatives ». R. Kaës parle de « concaténation de réseaux associatifs ». Ces concaténation sont repérables en DEE lorsque, dans un groupe de 10-15 personnes, plusieurs patients se mettent à produire un travail psychique sur un même thème. Nous voyons les patients arriver avec un matériel propre spécifique mais très vite un thème donné, mis en commun par un des patients, se trouve partagé par la majorité. Les alliances qu’y se créent révèlent des peurs archaïques qui se disent entre inconscients, alliances en forme de mécanisme de défense, liens créés dans une recherche inconscients de soutien face à ce qui réanime la peur. La résonance des inconscients est perceptible. Ces liens se défont ou s’assainissent lorsque le travail thérapeutique produit ses effets, les révélant en même temps…