Géraldine, habituée à courir dans les sous-bois, croise un jour un ami proche accompagné de sa nouvelle compagne. La rencontre, anodine en apparence, ne suscite en elle aucun trouble sur le moment. Elle se sent bien, échange quelques mots et poursuit son jogging sans émotion particulière.
Quelques jours plus tard, Géraldine se retrouve incapable de retourner courir dans ce même lieu. Elle décrit des sensations de malaise, de nausée, de vertige, des manifestations physiques qui s’intensifient dès qu’elle approche de la forêt. Elle parle d’angoisse, mais sans objet identifiable, ce qui confine à une véritable phobie d’origine inconnue.
En séance, Géraldine associe cette difficulté à courir à la rupture brutale de son ami, survenue quelques jours après leur rencontre. Celui-ci a mis fin à leur lien d’amitié, cédant à la jalousie possessive de sa nouvelle compagne. Ce rejet brutal réactive chez Géraldine une tristesse profonde, une sensation d’abandon inexpliquée par la seule perte d’un ami.
Nous l’invitons à formuler ses ressentis : « je suis triste », « tu me lâches », « j’ai peur ». Ces mots réveillent un noyau émotionnel plus archaïque. Derrière la déception présente se dévoile une peur d’abandon primitive, que Géraldine n’identifie pas immédiatement comme telle. L’émotion, déconnectée d’une représentation claire, s’inscrit d’abord comme angoisse.
Cette peur ne trouve pas sa source dans la relation actuelle mais dans une histoire infantile plus ancienne. Fille d’une mère peu aimante, Géraldine a grandi dans un environnement insécure, sans contenance affective. L’abandon de l’ami réactive une blessure ancienne jamais symbolisée. C’est une mémoire émotionnelle pré-verbale qui ressurgit : celle du rejet précoce maternel, vécu à une époque où l’enfant ne pouvait ni comprendre ni formuler ce qu’il ressentait.
Ne plus pouvoir courir dans les bois devient un mécanisme protecteur. Le corps signale le danger à travers des symptômes phobiques. Comme le décrit Freud, l’angoisse devient un signal protecteur avant même que la perturbation affective n’ait lieu. L’interdit émotionnel de l’époque revient sous forme d’inhibition : un moyen pour le psychisme d’éviter l’effondrement.
« L’angoisse est un signal qui incite à éviter la situation de danger, la condition déterminante étant la perte de l’objet. »
– Sigmund Freud
Le travail consiste alors à permettre à Géraldine de mettre en mots l’émotion jusqu’ici interdite. Ce n’est pas la mémoire événementielle qui importe, mais la reviviscence affective à travers la parole. La mantrathérapie, en favorisant l’émergence de l’affect coincé, permet une liaison entre émotion et représentation. L’abréaction est rendue possible, la charge émotionnelle se décharge enfin.
« Un souvenir dénué de charge affective est presque totalement inefficace. »
– André Green, Le Discours vivant
La phobie de Géraldine, incompréhensible en surface, se révèle être l’expression corporelle d’une blessure affective ancienne. En séance, l’accès à la parole, aux affects enfouis, permet la reconnexion de cette mémoire émotionnelle au psychisme conscient. Le symptôme n’est pas à faire taire, il est à écouter : il contient la clé d’une guérison possible.
Lucie Arnulf au 06 12 33 13 39