Freud repère la compulsion de répétition comme un indice du travail (et une preuve) de l’inconscient en observant son petit-fils jouer avec une bobine qu’il jette et ramène. Ce jeu, observe-t-il, symbolise l’absence/présence de sa mère par deux signifiants paroliers (Fort/Da), et comportemental. Cependant, si ce jeu permet à l’enfant de surmonter symboliquement l’absence de la mère et lui apporte un renoncement pulsionnel, autant qu’il lui donne un rôle actif, l’enfant remet aussi en acte un événement désagréable qui en soi ne peut apporter aucun plaisir.
Dans la même perspective de recherche, Sigmund Freud note que les souvenirs des grands traumatisés de guerre leur reviennent sans cesse après la guerre, à travers des rêves ecménésiques et des reviviscences qui provoquent de grandes douleurs.
Par ailleurs, il note en séance, dans le transfert de la cure, que les patients remettent en jeu la répétition de leurs traumatismes anciens et refoulés, n’offrant pourtant que déplaisir et souffrance. Puis, que pour d’autres personnes sans névrose manifeste, les mêmes situations pénibles se répètent tout au long de leur vie sans qu’elles soient nettement voulues.
De ces situations, il conclue que si la répétition peut apporter des satisfactions, comme c’est le cas dans le jeu, il existe une compulsion de répétition qui n’en procure aucune, bien au contraire.
Mais cette constatation va à l’encontre de ses différentes théories selon lesquelles les comportements sont régis par un principe premier du fonctionnement de la vie psychique, le principe de plaisir.
Green traduit le concept freudien de pulsions de mort en pulsions destructrices, dont les représentations se sont détachées de l’affect, restant ainsi à l’état de ressentis purs.
(La compulsion de répétition tenterait elles de les lier ? Question en suspens…)
André Green vient éclairer le présupposé de pulsions destructrices : pour Freud, rapporte-t-il, « la force de destruction est tournée vers l’intérieur. L’agressivité est défléchie vers l’extérieur mais elle dérive de cette force interne. […]. « Nés du sentiment d’impuissance, le paradoxe » nous dit Green, « c’est que c’est soi qu’il faudrait détruire pour supprimer les sentiments de désespoir et de détresse »..
Nous comprenons ce concept comme hypothèse de travail qui cherche à éclaircir les racines de la destructivité et de la violence, y compris celle qui paraitrait la plus « gratuite ».
La psychanalyse postule que nous intégrons et construisons les objets à l’intérieur de nous : nous nous identifions aux objets externes en nous appropriant de leur texture, qui devient texture de nous-même : l’idée conductrice de Green est qu’Eros a une fonction objectalisante, qu’il est créateur de liens et amène à la multiplication des relations d’objet. (Mais ainsi, l’Eros, pris comme représentant des pulsions de vie, pousserait à projeter sur l’autre les sentiments négatifs qui pourraient entrainer la mort, tout du moins psychique, du sujet.)
Quant aux pulsions de morts, qu’il nomme « pulsions destructrices » terme qui les replace dans un contexte plus facile à admettre, elles ont une fonction désobjectalisante : ces pulsions poussent à discréditer, à réduire à néant l’objet externe qui fût intériorisé ; l’autre, important pour nous, objet unique, s’il est désinvesti, perd toute la richesse qu’il avait acquise : il est délié à l’intérieur, délité. Tué fantasmatiquement. (Le terme de « cassée » dans le langage courant désigne bien la relation lorsqu’elle est rompue : le sujet à travers l’objet « se casse » également ce me semble.)
André Green, à la suite de Freud, nous propose sa vision des fonctionnements répétitifs, voire bloqués qui se rencontrent chez certains sujets. Elle ne nous semble pas très éloignée des apports déjà faits en la matière, cependant voyons les :
Lors d’une situation traumatique, lorsque la décharge d’affect, c’est-à-dire l’expression émotionnelle, n’a pu se produire, l’affect restera lié au souvenir traumatique qui n’a pas pu être élaboré : « […] les représentations pathogènes n’ont pas subi l’usure normale par abréaction ou reproduction, avec circulation non entravée des associations ».
D’où l’importance du langage comme moteur de l’abréaction : « Le langage relie associativement le souvenir et l’événement comme il relie la charge coincée d’affect aux représentations », souligne l’auteur. Lorsque le sujet se coupe de ses représentations, lorsque le langage se dépouille de l’affect, de l’émotion « dans un processus de désobjectalisation », ces affects se mettent alors au service de « la pulsion de mort »…
Nous entendons que l’impact de l’évènement perdure dans la psyché, sans métabolisation. Lorsqu’il n’y a pas eu mise en mot de l’évènement traumatique, l’affect n’est pas conscientisé ; sans la représentation il reste hors de la conscience et agit dans sa dimension perturbatrice comme si l’évènement se répétait sans fin.
Le cadre thérapeutique, en allant rechercher l’expression des émotions, permet l’abréaction ou, en d’autres termes, leur libération. « … le langage est en lui-même acte et décharge par les mots »[: l’affect, va se manifester verbalement et la représentation pathogène qui était restée bloquée et agissait masquée, va se modifier grâce à la voie associative qui la ramène vers le conscient en la liant (à des représentations, souvenirs images).
Le langage prend donc lieu d’acte grâce auquel l’abréaction peut se faire : pour qu’un événement saisissant ne devienne traumatique, l’affect et la représentation -liés au langage- doivent s’être « couplés ». Il ne s’agit pas seulement de parler pour être libéré d’un trauma, il s’agit de mettre en parole un événement en allant chercher l’émotion originaire qui y était liée et interdite de souvenir de par l’impact qui a agi sur le psychisme.
La dynamique émotionnelle permet la transformation de l’évènement lorsque celui ci est suffisamment exprimé dans ses dimensions affectives. La mantrathérapie, -ou répétition par la parole de l’émotion-, permets la liaison, c’est à dire le passage d’un insu, d’un inconscient, à la conscience vers l’abréaction des évènements en question et l libération des symptômes.
Selon la DEE, l’homme est un être d’apprentissage, un être d’expérience. S’il commet des atrocités, il ne s’agit pas d’instincts dévoyés (ou de pulsions de mort) mais la résultante d’un manque d’apprentissage, ou d’apprentissages incomplets ou même perdu par un moi immature et figé ».
La destructivité, comme perte de conscience de Soi, résulterait de raisonnements erronés, de positions fausses. Quels que soient ses comportements, tout sujet retire un bénéfice secondaire de ce qu’il fait : le désir de passer à l’acte le plus extrême, qu’il soit tourné contre lui ou projeté vers autrui, peut lui laisser espérer l’apaisement de sa douleur, de sa souffrance.
Les actes les plus négatifs sont des réponses à sa recherche de bien être, de bonheur. L’homme jaloux qui tue un rival le fera dans l’espoir pernicieux de trouver le soulagement de sa jalousie par le meurtre ; l’individu qui se suicide cherche avant tout à mettre fin à sa douleur. Voici ce que pourrait être le discours inconscient d’un sujet aux prises avec sa ‘violence destructrice’ : « Je désire tuer l’autre dans l’espoir que l’émotion, le désespoir qui m’habite, la douleur qu’il éveille en moi, que je me fais vivre avec lui et qui me blesse, cesse avec sa mort. Lorsqu’il aura disparu peut-être atteindrai-je la paix ? Peut-être pourrais me préserver du même sort pour ne plus ressentir la douleur, la colère et la haine que je ressens ?)
« Un méchant n’est au fond qu’un pauvre malchanceux… »
La dynamique Emotionnelle revendique donc que toute agressivité projetée est encore Amour de soi, puisqu’elle protège le sujet de sa propre violence, et que l’homme n’est nullement habité par des pulsions de mort ; il est en recherche de bonheur et les voies qu’il prend, aussi erronées soient-elles sont des tentatives en ce sens.
Comment la DEE, accompagne-t-elle avec les patients ‘qui répètent’ ?
Pour répondre à cette question nous nous appuierons sur les apports théoriques d’Etienne Jalenques dans « les « règles du je(u) ».
Présentons en quelques lignes les fondements de la méthode : les besoins relationnels de l’enfant pour un développement harmonieux et ce qu’il encourt lorsqu’ils ne sont pas mis en place par défection volontaire, fantasmée ou réelle de l’objet :
Le petit enfant a besoin pour se construire de son objet ; il ne peut s’en séparer, il fait un avec lui. Sa mère et la relation à sa mère lui sont vitales. Sans elles il disparait, il se ferme, il occulte sa capacité à aimer s’il ne meurt pas. Sans la relation qui permet de se construire psychiquement, émotionnellement, il ne peut grandir, accéder à l’individuation, percevoir qu’il est « lui-même la source de ses propres besoins, envies et désirs »
A travers les multiples identifications à l’objet, et aux-objets, l’enfant se fonder comme sujet de son monde. Mais si l’environnement ne le lui permet pas, si les identifications se font à un objet déficient en raison de sa propre déficience, elles vont le diminuer, l’enkyster en quelque sorte, dans des mécanismes répétitifs.
Si la mère projette sur lui ses besoins fusionnels et le limite à rester objet de son désir à elle, l’enfant va y répondre de manière inconsciente. Dans la confusion identitaire que cette demande provoque, il finit par se confondre avec les besoins et les désirs de l’autre « en tant qu’image de lui »…
Il tentera d’y répondre au prix de sa liberté. Il devient la partie de l’autre incluse en lui au lieu d’accéder au Je, qui aurait intégré l’autre comme richesse différente de soi.
Son Moi n’accède pas à la mobilité qui devrait lui permettre d’atteindre la conscience de soi, comme unité harmonieuse et libre. Le moi se vit au dépend de l’autre. Ce sont ce qu’Étienne Jalenques appelle de fausses identifications, qui amènent le moi à se prendre pour le Je, répétant alors sans cesse des positions qui obéissent, non au besoin du sujet, mais à celui de l’autre…