Thérapie émotionnelle

Dynamique Emotionnelle Exprimée, thérapie de groupe et individuelle – Paris, Lyon

Se libérer de l’angoisse et de la culpabilité en dynamique émotionnelle

 

Dans ses premiers jours et mois, pour se protéger de ses angoisses persécutives, l’enfant va développer des mécanismes de défense en projetant hors de lui, vers l’objet, par le biais de l’identification projective, ses sentiments de persécution qu’il pourra alors ressentir comme venant de l’extérieur et non plus de lui. Lorsque s’élabore la position dépressive, il expérimentera cependant que ses désirs destructeurs n’ont pas eu d’effet réel, le bon sein attaqué n’a pas disparu, n’a pas été détruit. Peu à peu l’enfant se différencie d’avec l’objet maternel ; il découvre “l’autre” que soi, et en même temps que son moi se renforce, le sentiment de soi s’installe.

L’illusion de toute-puissance, la tentative de domination et le déni, dans ces phases d’organisations, qui sont des défenses maniaques mises en œuvre pour se protéger de la douleur et de l’angoisse du sentiment d’impuissance, s’estompent. Si l’objet est suffisamment bon, le fantasme laisse place à la réalité externe.

Mais s’il y a eu impossibilité d’accéder à la position dépressive pendant cette phase d’organisation primaire, la position paranoïde ne peut se renforcer, les projections s’intensifier, la peur de la persécution s’étendre à tout objet, jusqu’au “monde extérieur”, tant le monde étant par essence la mère, avant la formation d’un moi solide. La position dépressive sera alors difficilement élaborée.

Comment comprendre que les pulsions destructrices aient entraîné un sentiment de culpabilité ? C’est-à-dire des pulsions qui se manifestent sans que le sujet ait accès à sa liberté émotionnelle ?

Nous avons ici un cas où la culpabilité, liée à l’envie, domine, avec clivage du moi, cas qui va nous servir de support à la compréhension.

Nous recevons Michel 29 ans, adressé par son employeur qui connaît la DEE. Son approche est directe toutefois marquée par un certain retrait, une angoisse visible et beaucoup de nervosité. C’est un homme assez grand, imposant par sa corpulence. Il est bien soigné. En entrant dans le bureau, il annonce directement qu’il vient parce que son employeur le lui a conseillé, qu’il a eu des dépressions dans le passé et qu’il ne sait pas pourquoi « il ne sent rien ». Il en souffre. Il est conscient d’une perte pour lui. Son angoisse est prégnante, massive ; la tristesse profonde m’est transmise par une forme de vide de l’être, une perception contre transférentielle de ce patient « comme si » il me montrait quelque chose qu’il n’était pas… Il parle de sa fatigue constante, qui prend beaucoup de place.

Sa mère a 26 ans lorsqu’elle rencontre son père. Ils vivront ensemble, auront deux enfants de cinq ans d’écart. Peu de temps après sa naissance, son père, grand anxieux, commence à s’adonner à l’alcool, devient agressif, voire violent. Sa mère finit par le quitter, part vivre avec ses deux fils chez sa mère, dans le Limousin. Cependant, elle digère mal la rupture. Elle se sent « seule », laisse à sa mère le soin des enfants.

De plus en plus dépressive, elle se désintéresse de ses fonctions maternelles. Les enfants supportent mal la double perte qui se joue, d’une part de par l’effacement du père et d’autre part, dans la présence bancale d’une mère devenue absente relationnellement. Les deux garçons ne s’entendent pas, une jalousie latente et constante habite Michel.

Il se révèle lorsqu’il parle de son frère, avec une moue dédaigneuse, méprisante. Les griefs sont nombreux à son encontre. À l’entendre, son frère était responsable de tous ses maux. Il le détestait ‘tout en l‘aimant quand même’, explique-t-il. Mais à l’adolescent, c’est le coup de tonnerre pour Michel, son frère se suicide. Sous le choc, Michel se mure dans un retrait silencieux, n’exprimant rien de qu’il ressent : « personne à qui parler et pour quoi faire ? » me dit-il. Il quitte le foyer un an plus tard, sans même dire au revoir à sa mère, qu’il méprise. À 24 ans, Michel passe son brevet de technicien réseau, comme son père avant lui, puis est embauché en tant que conducteur de travaux dans une entreprise de construction. À partir de là, commence une série de dépressions sévères qui le verront hospitalisé pour des tentatives de suicide, dont certaines graves. Aujourd’hui à 29 ans, il est célibataire, n’est intéressé ni par la sexualité ni par une vie de famille. Quelques amitiés féminines parcourent sa route mais le laissent froid, cependant. Il ne voit jamais sa mère, ça ne l’intéresse pas, même s’il souffre de son manque d’amour.

Quels mécanismes archaïques, bien en deçà des constructions œdipiennes, ont pu agir sur la formation du moi du nourrisson à la suite de ces événements ?

Et pourquoi postuler qu’il s’agit d’évènements préœdipiens ?

La dépression maternelle dans les premiers mois de l’enfance semble l’avoir profondément marqué. Il se souvient d’une mère constamment assombrie. Il a longtemps cru que c’était à cause de lui qu’elle allait mal et elle ne l’a jamais démenti. Le maternage, les interactions avec le bébé, les échanges qui permettent l’élaboration des émotions, des sentiments, de la pensée, la façon de le porter, de le manipuler, d’être une mère « bonne suffisamment », ne semblent pas avoir abouti, n’avoir pas procuré les bases qui auraient permis à l’enfant de s’appuyer sur des ressources stables pour poursuivre son développement malgré la carence maternelle.

Sa présence défaillante dans la position qu’elle aurait dû occuper de pare-excitation[3] l’impossibilité pour le bébé d’accéder à la position dépressive[4]-de l’élaborer, qui aurait dû permettre la séparation psychique du nourrisson d’avec son objet, freine au passage la capacité de l’enfant pour tourner ses investissements vers le monde extérieur et intégrer les tiers.
L’envie de détruire ses objets intériorisés, frère, mère, père,  effleure chacun des apports qu’il fait en séance, alors même qu’il parle de l’amour qu’il a toujours eu pour eux  ‘ quand même’. Le ton n’est pas toujours syntone avec les sentiments exprimés.
Michel qui a très peu connu son père, le rencontrant à l’occasion d’anniversaires ou de fêtes de fin d’années, s’en est fait une image idéalisée. Également se devine une idéalisation excessive envers le frère qu’il jalousait.

Au fur et à mesure des séances, nous percevons des sentiments massifs de culpabilité qui l’empêchent d’accéder à ses sentiments qui lui apparaissent comme négatifs, pourtant visibles comme la haine et la colère. L’angoisse est quasi constante. Elle pose la question d’une peur. Si je m’en réfère à mon expérience clinique avec en arrière plan les apports de Mélanie Klein sur la haine, je comprends que derrière cette angoisse et cette culpabilité, se cache le désir de détruire ses objets.

S’il y a eu déficience de l’objet, cette défaillance pourrait-elle avoir été perçue et intégrée comme réalisation de ses fantasmes dans la position schizoparanoïde ?

L’équation serait la suivante : il n’aime pas sa mère parce qu’elle a disparu dans sa propre douleur, le laissant seul ; et elle, avait disparu à cause de lui, parce qu’il ne l’aimait pas. Ce qui le rend « coupable », est-il persuadé. Sans percevoir que ce sentiment de culpabilité le protège peut-être de l’effondrement. D’ailleurs, dans ses fantasmes, la mort de son frère, n’a-t-elle pas été causée par la force de son désir ? Lui qui voulait le voir disparaître.

Les sentiments ambivalents d’amour et de haine, manifestes envers sa mère et son frère, eux, sont patents, c’est-à-dire l’angoisse qui pourrait avoir émergé de la réalisation hallucinatoire du désir inconscient de les détruire, et entraînerait douleurs morales et auto-reproches, attaques contre lui-même.

Si son désir peut tuer, imaginons l’impasse dans laquelle il se trouve : incapacité pour le moi d’accepter quelque pensée agressive que ce soit sans danger potentiel. Le voilà confiné dans un espace qui se voudrait neutre, clivé, toute émotion étant à rejeter sous peine de réalisation destructrice.

Paradoxalement, la culpabilité le protège, me semble-t-il, du sentiment abyssal de vide qui pourrait l’emporter à comprendre soudainement qu’il n’y était absolument pour rien dans ce qu’il subissait de sa vie, à comprendre qu’il n’y a pas de sens là où il cherche à en mettre en se rendant coupable…

Le travail en DEE postule de partir de l’existant du patient, dans le traitement, afin de lui permettre, au fur et à mesure de son avancée, de comprendre que les relations qu’il rejoue dans le présent sont des réactualisations de positions relationnelles anciennes ; ses positions lui ont sauvé la vie même si aujourd’hui il en vient à consulter parce qu’elles grèvent sa vie et son mental.
Ce qu’il a tendance à nous dire régulièrement, c’est qu’il s’en veut de la mort de son frère. Il ne sait pas pourquoi, mais il s’en veut… Nous lui proposons un travail de répétition, de mantrathérapie : « Je suis triste que tu sois parti Pierre, mais j’y pouvais rien ».
Les deux propositions sont associées dans le mantra pour d’une part, lui permettre d’exprimer la tristesse qui n’a jamais été partagée, d’autre part alléger le poids de la culpabilité qu’il ressent et de le recentrer sur lui.
Michel s’en empare de par le soulagement, peut-être encore inconscient, que ces signifiants véhiculent. Il les répète, s’entend les répéter et les répétant, il les intègre comme signifiés qui modifient sa position intérieure.
Ceci n’est qu’un des exemples du travail qui sera fait. Nous poursuivrons par des variations allant du « Je n’y pouvais rien, ce n’est pas de ma faute » à «tu n’aurais pas dû faire ça» amorce de la colère. Répétant, il conscientise et s’approprie ses affects, s’autorise ses ressentis, quelles que soient leurs connotations, positives ou négatives, travaillant sur les pensées refoulées car interdites, travaillant sur de l’insu.
Ce travail permet d’accéder à de nouveau paliers psychiques qui, affleurant à la conscience, son alors liés et métabolisés : le patient nous parle de sa colère devant les faits qu’il considérait comme de sa ‘faute’ : la mort de son frère, la dépression de sa mère. de nouvelles sensations adviennent, des éprouvés qu’il ne se connaissait pas : sentiments d’envie envers son frère « qui a eu la chance de vivre plus longtemps avec son père, alors que lui ne l’a pas connu assez ».

Il comprend qu’il a eu longtemps envie de le détruire « pour qu’il n’ait plus ce que lui, n’a pas eu », images qu’il avait occultées depuis sa mort. Nous lui proposons : « Ce n’est pas juste, tu as plus que moi, je t’en veux ».

La mantrathérapie émotionnelle et le forage psychique permettent de ramener à la mémoire les événements les plus anciens, les plus enfouis, en passant par l’émotion. Le travail en séance se fait au présent pour les réactualiser ; et les réactualiser permet, nous le voyons, au patient de se libérer, à l’aide de ce travail, de la haine si longtemps déniée sous un sentiment de culpabilité ; lui permet de s’autoriser ses ressentis “négatifs” masqués sous la culpabilité. Le patient finira par énoncer de lui-même, alors qu’il se sentait responsable de la mort de son frère sans en comprendre la cause, : « Je veux que tu meures, je veux tout pour moi » et à sa grande surprise, une fois que la gamme émotionnelle est exprimée dans toute sa dimension, …à l’apaisement d’une colère et d’une jalousie qu’il s’était interdit jusque-ici, et enfin, au sentiment d’amour, épuré, envers lui, et envers son frère.

En parallèle, un travail sur l’estime de soi va lui permettre de comprendre que s’il en est là, c’est qu’il a eu suffisamment d’amour pour lui, pour survivre dans cette famille mortifère. L’envie destructrice, elle-même, était en soi ‘amour’ de lui-même dans ce qu’elle notifiait de son manque : « C’est parce que je m’aime que je t’en voulais » dira-t-il en s’adressant à son frère mort…

Travail donc sur les affects primaires, l’émotion qui surgit, le sentiment qui s’installe et l’appropriation de soi par soi.
L’amour reste central dans le travail de la dynamique émotionnelle qui n’hésite pas creuser dans les émotions les plus archaïques, les plus agressives, voire les plus violentes car elles permettront au patient grâce leur expression de se recentrer sur lui, d’aller vers son individuation. Sans une vision des enjeux archaïques, nous passerions facilement à côte des raisons de l’envie destructrice de Michel qui s’exprimait  en facade par la culpabilité et l’anoisse.
L’interprétation kleinienne de l’envie [5] nous a amené à comprendre le sentiment de culpabilité qui entrainait dépression et envie suicidaire, dans le désir, ignoré par le sujet lui-même, de détruire la trame qui l’unissait à son frère. Trame tissée d’envie plus que de jalousie.
Le patient nous apporte la matière avec laquelle nous le faisons travailler, dans l’instant de la séance. Cependant le thérapeute ne peut pas se contenter d’un ici et maintenant sans avoir un ou deux coup d’avance sur la compréhension de ce qui agit de l’intérieur, de ce qui meut les patients dans leurs névroses..

[1] Hanna Segal, Introduction à l’œuvre de Mélanie Klein, Paris, 1969,PUF, collection “Bibliothèque de psychanalyse” 2000
[2] Donald W. Winnicott, La mère suffisamment bonne, “Petite Bibliothèque Payot”, 2006
[3] Terme introduit par S. Freud qui conçoit le pare-excitation comme un filtre mis au service de notre constitution biologique pour parer à des excitations exogènes si fortes qu’elles ne pourraient être ensuite déchargées. Le phénomène de pare-excitation consiste surtout en une fonction, celle de préserver l’équilibre psychique de l’individu en filtrant sa perception de la réalité extérieure. Une perception trop brutale d’excitations exogènes violentes crée un traumatisme.
[4] Mélanie Klein, Deuil et dépression, Payot, coll. “Petite Bibliothèque Payot”, 2004,
[5] Klein, Envie et gratitude ”(1957), in Envie et gratitude et autres essais, trad. V. Smirnoff, Paris, Gallimard “ Tel ”, 1981 L’envie exprime presque exclusivement un souhait de destruction. L’envie serait l’expression la plus pure des pulsions destructrices.

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