Julien, 42 ans, contexte initial de la répétition
Julien consulte après une nouvelle rupture amoureuse, un auto-sabotage amoureux, dit-il. Une fois encore, il a vécu ce qu’il décrit lui-même comme un échec : une rencontre intense, presque fusionnelle, suivie d’un basculement. Peu à peu, il commence à s’éloigner. Il se sent envahi, étouffé, puis étouffant. Il a l’impression de ne pas recevoir assez, de ne plus compter. Alors, il dévalorise la relation, doute de lui, se juge. Il se reproche de mal aimer, de demander trop, ou de ne pas savoir faire.
En séance, il parle d’un scénario devenu familier : passion, puis retrait. Derrière ce mécanisme inconscient, un schéma d’auto-sabotage amoureux se rejoue. Rompre devient une manière de garder la main sur ce qu’il redoute le plus : l’abandon.
Julien prend de la distance, se replie, devient critique ou fuyant. Il agit non pas par indifférence, mais pour éviter la douleur de l’abandon. Il préfère partir avant d’être quitté, se punir avant d’être blessé. Ce fonctionnement défensif puissant le protège… mais à un prix élevé : sentiment d’échec, faible estime de soi, solitude affective.

« Je fais tout pour que ça marche, et pourtant ça casse toujours. Je m’en veux de ne pas y arriver. »
Enfance et structure de lien qui mène à l’auto-sabotage amoureux
Julien a grandi dans la peur de décevoir. Son père, figure froide et exigeante, imposait silence et obéissance. La moindre erreur appelait une remarque sèche, un regard réprobateur, parfois des jours de distance. L’amour paternel semblait conditionné à la réussite, à la force, au contrôle. Dans cette ambiance tendue, Julien s’est construit dans l’ombre : bon élève, discret, “sans problème”. Mais à l’intérieur, l’enfant s’est peu à peu convaincu qu’il n’était jamais assez. Jamais assez fort, assez bien, assez digne. Le doute s’est installé là où la confiance aurait dû naître.
Adulte, Julien porte encore cette peur de ne pas être à la hauteur. Dans le lien amoureux, chaque geste d’attention réveille une angoisse sourde : « et si l’autre voyait qui je suis vraiment ? » Alors, il se replie. Il prend ses distances, devient critique, provoque. Non pas parce qu’il ne veut pas aimer, mais parce qu’il se sent inadéquat. Le lien ravive une blessure ancienne : celle de n’avoir jamais été accueilli tel qu’il était. Julien préfère parfois saboter l’amour… que d’attendre, impuissant, qu’on l’abandonne..
Fonction de l’auto-sabotage amoureux
Le schéma relationnel de Julien rejoue une vieille histoire. Aimer, pour lui, c’est dangereux car il se sent vite dépendant, pris dans une attente trop grande. Chaque rupture réveille un sentiment ancien : celui de ne pas être assez bien pour être aimé. Il tente de réparer l’histoire, mais il la rejoue à l’identique.
Son auto-sabotage devient une manière de se protéger. En fuyant l’engagement, en provoquant la fin, il garde le contrôle. Il préfère partir que de risquer d’être quitté. Mieux vaut choisir la douleur connue que de subir l’imprévisible. Cette stratégie, apprise dans l’enfance, le soulage sur le moment. Mais elle lui coûte cher. Elle le coupe des autres, renforce sa honte, et l’empêche d’accéder à un lien réel.
Aujourd’hui, Julien n’est plus ce petit garçon sous le regard de son père. Il peut ressentir sans s’effondrer. Mais tant que le mécanisme agit sans qu’il en ait conscience, c’est lui qui prend les décisions à sa place.
La place du contrôle dans l’auto-sabotage amoureux
Progressivement, Julien provoque ou anticipe la rupture. Ce n’est pas anodin : il garde ainsi le contrôle sur ce qu’il redoute le plus. Ce geste ne relève pas d’un simple désintérêt, mais d’une stratégie défensive bien rodée. Peu à peu, il sabote le lien : il prend de la distance, se sent moins amoureux, alors qu’il idéalisait encore récemment la relation.
À ce moment-là, il se persuade que « ce n’était pas la bonne personne ». Pourtant, ce discours n’a rien de neutre. Il sert avant tout à le protéger. Car en réalité, Julien cherche à éviter le vertige que provoque un attachement réel. Derrière ce retrait se cache une insécurité affective profonde, silencieuse mais agissante.
Ainsi, Julien ne rompt pas par liberté de choix, mais par besoin de se défendre. Il préfère partir avant d’être quitté. Cette douleur, il la connaît. Cette douleur le fait souffrir, bien sûr. Mais elle le rassure aussi, à sa manière car elle a le goût du déjà-connu, celui d’un chagrin qu’il sait encaisser. Elle reste prévisible, encadrée, presque familière. Et surtout, elle lui paraît plus facile à gérer que l’incertitude d’un lien vivant, instable, où il risquerait d’être profondément touché, voire ébranlé.
Entrée dans le travail émotionnel
Dans l’espace thérapeutique, nous construisons avec Julien un cadre suffisamment sécurisant pour qu’il ose dire ses douleurs anciennes, sans craindre le jugement ni l’effondrement. Grâce à la présence stable, empathique et contenante du thérapeute, il peut enfin s’approcher de ces émotions longtemps refoulées. Peu à peu, les affects qui le figent — honte, tristesse, colère, peur — trouvent un chemin pour s’exprimer.
En les nommant et en les traversant, Julien commence à les digérer psychiquement, à les relier à son histoire, à leur donner du sens. Ce travail ne cherche pas à effacer la souffrance, mais à la transformer. Lorsqu’il reconnaît ses émotions, il les remet à leur juste place : elles cessent de le diriger dans l’ombre, par l’auto-sabotage, et deviennent une part vivante, assumée, de son parcours.
Transformation progressive
Julien apprend à différencier le passé du présent. Il verbalise enfin sa colère, met des mots sur sa tristesse, et commence à poser des limites dans ses relations. La fusion laisse place à un lien plus libre, plus ajusté. Il s’autorise à être aimé autrement que par le sacrifice de soi.
Conclusion thérapeutique
Le cas de Julien illustre comment des blessures affectives anciennes, non métabolisée, structure des répétitions relationnelles douloureuses et comment le travail émotionnel transforme ces répétitions en prises de conscience, en choix nouveaux, en expériences réparatrices.
La répétition cesse alors d’être un piège pour devenir une voie de transformation intérieure.