le rôle fondamental de l’objet primaire
— Françoise Dolto, La cause des enfants, éditions Robert LaffontPour se construire psychiquement et émotionnellement, le petit enfant a besoin d’un lien fondamental avec son objet primaire, le plus souvent la mère. Dans cette phase archaïque, l’enfant ne se vit pas comme un être séparé, il fait corps avec elle. Sans ce lien, il ne peut ni se développer, ni aimer, ni même exister psychiquement. L’absence ou la carence du lien primaire l’amène à se fermer, à s’effacer, voire à nier son droit d’exister.C’est à travers la relation fusionnelle puis progressivement différenciante que l’enfant accède à l’individuation. Il découvre qu’il est une source autonome de ses besoins, envies et désirs. Ce processus constitue le socle du sentiment d’identité et de l’accès au « je ».
Les identifications structurantes ou pathogènes
L’enfant se construit aussi en s’identifiant aux figures parentales ou environnementales qui l’entourent. Ces identifications multiples à l’objet – ou aux objets – participent à l’élaboration de son Moi. Mais encore faut-il que l’environnement psychique et affectif lui permette d’y puiser des repères stables et cohérents.
Lorsque l’objet d’identification est lui-même défaillant — parce qu’enfermé dans ses propres carences, traumas ou attentes non élaborées — ces identifications deviennent limitantes, répétitives, enkystées. L’enfant se construit alors à partir d’un modèle intérieur déformé, ce qui affecte sa capacité à se penser comme sujet autonome.
La confusion identitaire : quand l’enfant devient l’objet du désir de l’autre
« Le Moi se construit d’abord sur des identifications, mais il peut aussi s’y perdre. La fausse identification est celle qui fait croire au sujet qu’il est ce qu’on attend qu’il soit. »
— Étienne Jalenques, Psychiatrie et psychanalyse de l’adulte, éditions Seli Arslan
Si la mère (ou la figure d’attachement principale) projette sur l’enfant ses propres besoins de fusion ou de réparation narcissique, elle risque de l’enfermer dans une position où il devient l’objet de son désir, plutôt que sujet de son propre désir.
L’enfant, en réponse inconsciente à cette demande, se sur-adapte. Il tente de répondre à ces attentes implicites, non en fonction de ses besoins internes, mais pour rester l’objet aimable de l’autre. Il développe alors des fausses identifications, comme les nomme Étienne Jalenques, qui brouillent la frontière entre ce qu’il est et ce qu’on attend qu’il soit.
Cette confusion identitaire l’empêche d’accéder à un « Je » différencié. Le Moi reste figé dans une structure aliénée, construite à partir des attentes de l’environnement. Il devient le reflet de l’autre, au lieu de devenir un sujet autonome ayant intégré l’autre comme une richesse distincte.
« La séparation n’est pas une rupture, c’est une nécessité structurante. »
— Françoise Dolto, entretien dans Le Monde, 1984
De la répétition à la libération psychique
Lorsque ces mécanismes s’installent sans être mis en mots ni reconnus, l’adulte reproduira ces modèles identificatoires dysfonctionnels. Son Moi restera pris dans des scénarios de dépendance, de sur-adaptation ou d’effacement, répétant sans cesse des positionnements qui répondent non à ses besoins réels, mais à ceux de l’autre intériorisé.
Le travail thérapeutique consiste à défaire ces confusions, à nommer les fausses identifications, à redonner au sujet l’espace nécessaire pour renouer avec son Je authentique. C’est à travers ce processus que peut émerger un Moi vivant, mobile, capable de désir, de choix, de différenciation.